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COULEURS ET MAISONS PAYSANNES

dans les pays de la région limousine
et dans bien d’autres campagnes

Michel Auzeméry

Des engouements successifs

Après la marée blanche, contrevents blancs et penture noires, submergeant les campagnes de 1940 à 1980, voici la vague bleue. Le « grand bleu » aurait-il donné le ton ? Certes il n’a rien inventé, puisque bleu et blanc sont d’anciennes couleurs de France. Mais voici donc les pinceaux dans le bleu : enseignes et logos, grilles et portails, cabanons, persiennes et volets, poteaux floraux ou lampadaires du mobilier urbain... La déferlante, après les bourgs, gagne les villages [1] : déjà les maisons rurales réhabilitées affirment la sûreté de leur bon goût par ce bleu à la mode. L’épidémie est nationale, quelques voyages suffisent pour le confirmer.

Le blanc, c’était « front-de-mer », vacances, étés rieurs et résidences secondaires égayant de luminosité nos tristes campagnes ! Le bleu serait plutôt profondeur de l’espace, eau primordiale, âge nouveau, silencieuses plongées, confort clean... ou même vieille France... enfin le top de la rusticité distinguée. Mais oui bien sûr, il y a eu le « bleu charrette »... pour les charrettes et quelquefois pour les portes et contrevents de maisons ; ce ne fut pas une règle, loin de là. D’ailleurs, il n’y a jamais eu de règle, ce qui permet la très légitime redécouverte parmi d’autres couleurs, de ce bleu caractéristique, délavé et affaibli.

Le paysan et les couleurs

Parler du rapport entre couleur et maison rurale demande un détour préliminaire dans l’univers culturel des générations paysannes précédentes.

La plupart des maisons paysannes, jusqu’à la première guerre mondiale, ignorent la mise en couleur des menuiseries des façades. Peindre des planches est une action étrangère à la culture du village. À l’époque, on teint les habits, la laine mais pas les maisons.

Mais pourtant, les couleurs existent bien pour l’homme de pays ; il en perçoit les vibrations, lui qui observe l’arc en ciel et ses présages, les nuages et l’horizon pour prévoir le temps. Lui-même, fondu dans l’harmonie venue du sol, des matériaux familiers et de l’entourage végétal, du climat et des pratiques agricoles, il est baigné dans le rythme des couleurs saisonnières. Mais le vocabulaire pour en parler est sobre. On parle beaucoup de noir et de brun, de blanc et de rouge. Lo rosseau par exemple désigne aussi bien le jaune, le blond, le doré, le roux ou l’orange ; lo brun indique le sombre, le noir, la pénombre, le foncé ; lo bureu rassemble le marron, le rouge profond, le rouille, le brûlé... Ce sont des tonalités qui recouvrent des variantes étendues mais non désignées. Le bleu est peu nommé, malgré les bleuets, les blouses des hommes et le ciel. D’un ciel très bleu on remarque seulement : es naut e clar [2] ! Le vert, lui, ne se dit pas comme couleur. Dans la langue, il indique seulement le végétal, la feuille, la fane, l’herbe à paître tout au plus, verd coma prat [3]... Le vert est une nourriture garnie de sève et non une couleur.

La maison paysanne avant la couleur

Si, parcourant les villages, nous éliminons provisoirement de notre attention les maisons de maîtres, les maisons dites « de caractère » et les maisons bourgeoises, il nous reste les maisons paysannes, celles des cultivateurs. De cette masse considérable de maisons, beaucoup sont inhabitées, à l’abandon, en ruine. Beaucoup d’autres ont été déguisées en pavillons avec ouvertures élargies, mouchetis de ciment et volets blancs. D’autres enfin, réhabilitées plus récemment, présentent leur squelette minéral de pierres ostensiblement détourées [4] et leurs menuiseries vernies ou vivement colorées. Toutes ces maisons ont été témoins d’une époque qui n’utilisait pas la peinture.

Les bois d’encadrement de portes, les chambranles des fenêtres (pour les pays sans pierres de taille), les contrevents, la porte elle-même, restent dans la teinte naturelle [5] du bois scié, vieillissant naturellement à l’eau et au soleil ; leur teinte grisée proche du noir s’opposant à l’ocre ou au gris des murailles nues, les fibres ligneuses et décharnées des planches donnent à la maison l’aspect d’un au-delà intemporel. Il est très souhaitable de rester fidèle à cette austérité paysanne discrète et silencieuse. Il suffira d’entretenir assez régulièrement les bois d’un mélange chauffé d’huile de lin et d’essence térébenthine (ce que les anciens ne faisaient pas).

Les poteaux de hangars et les portes d’étables ou de granges ont parfois été passés à l’huile de vidange. Cette pratique n’est pas très ancienne puisque la motorisation intense date seulement de 1950. Le carbonyle, de commercialisation récente, est employé sur les bois nus depuis 1970. Ces deux manières de traiter les bois indiquent cependant la persistance d’une culture qui se satisfait du nécessaire, du suffisant et du modeste. Il est juste de les prolonger.

On a aussi badigeonné au lait de chaux les entourages en bois des ouvertures en façade, mais assez rarement dans notre région éloignée des fours à chaux. Pourtant, sur les jambages en bois ou même appareillés en pierres de taille, ce badigeon veut être une protection de la maisonnée contre les parasites et les maladies ; c’est une note insolite et lointaine d’une émouvante et archaïque simplicité. Qui aujourd’hui aurait la sagesse de s’en tenir tout bonnement à ce badigeon de chaux ?

L’arrivée de la couleur

C’est d’abord sur les maisons des notables des bourgs ruraux et sur les maisons de maître dans les villages que sont apparues les couleurs au XVIIIe siècle ...

Avant la première guerre mondiale, les droguistes ambulants fournissent déjà aux charrons des couleurs pour charrettes et tombereaux, carrioles, outils agricoles mécanisés. Le temps des couleurs commence dans les villages. Une plus grande aisance permet cet enjolivement des menuiseries, davantage par prestige que par nécessité. Mais les couleurs restent dans la tonalité des outils agricoles. Sont disponibles des bruns, des rouilles, des ocres jaunes, et parfois le bleu des charrettes ou le vert des carrioles. Les paysannes qui s’occupent des habits et en choisissent les teintes répugnent habituellement aux couleurs « voyantes » ...


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